Très attendu par la communauté des amateurs, le livre Morilles de France et d’Europe (Cap Régions Editions) marque une étape essentielle dans la connaissance de ce champignon mythique. Fruit de nombreuses années de recherche, l’ouvrage fait un point précis sur la diversité des morilles, la description des espèces et leur écologie, tout en restant à la portée du plus grand nombre, grâce à de magnifiques illustrations.

Les morilles attisent une passion toute particulière parmi les amateurs de champignons. Elles forment aussi un genre qu’il restait à éclaircir d’un point de vue scientifique. La connaissance rigoureuse des morilles n’a-t-elle pas longtemps pâti de leur réputation gastronomique ? Il aura fallu la connexion magique entre l’incroyable ferveur d’un pharmacien chevronné et les talents de taxonomiste d’un chercheur en mycologie pour produire cette avancée décisive dans la science « morchellesque ».

Philippe Clowez, docteur en Pharmacie basé dans l’Oise, se passionne pour les morilles depuis son enfance. Il a produit en près de trente ans plusieurs dizaines de publications sur ces Ascomycètes dont il empile les données avec un soin maniaque. Pierre-Arthur Moreau, maître de conférences et chercheur en mycologie à la faculté de Lille-2, a apporté sa méthodologie et ses compétences scientifiques, en particulier sur la systématique. Une coordination sur plusieurs années avec des laboratoires français et étrangers a permis de compléter ces travaux aujourd’hui restitués en plus de trois cents pages magnifiquement illustrées. L’ouvrage se distingue aussi par l’abondance des informations relatives à la microscopie des Morilles, y compris d’un point de vue iconographique.

Philippe Clowez

Philippe Clowez, comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

PC : « C’est difficile à dire, mais je pense humblement que les morilles m’attendaient. Ce livre est l’aboutissement de longs travaux menés depuis 1991, avec pour moteur une passion  née dès l’âge de six ans. Après mes études en pharmacie, j’ai ressenti le besoin d’en savoir davantage sur les champignons : nous n’avions étudié qu’une centaine d’espèces. Et au fil de mes rencontres avec différents mycologues prestigieux, parmi lesquels Marcel Bon, je me suis aperçu que les morilles n’intéressaient finalement pas grand’monde, elles représentaient un genre vraiment à part. J’en étais presque frustré de ne pouvoir échanger davantage sur le sujet. C’est Régis Courtecuisse, grand mycologue français, qui m’a encouragé à écrire sur les morilles. Et je suis tellement heureux qu’il ait accepté de rédiger la préface du livre ! »

Vous parlez de passion, comment est-elle née ?

PC : « J’ai gardé de ma toute première morille découverte avec mon père un souvenir fabuleux. C’était après une journée de jardinage, mon père m’avait invité à le suivre sur la colline derrière chez nous. J’ai vu la première morille dès l’entrée dans le bois. Je pensais alors qu’elles poussaient au hasard, comme par magie. Les années qui suivirent, je comptais les mois, les semaines, les jours qui me séparaient de ma nouvelle cueillette. Elles avaient toutes des formes, des couleurs différentes, cela me fascinait complètement. Même si j’ai ramassé aussi des bolets et des chanterelles avec plaisir, ce n’était pas la même sensation. »

Quelles ont été les différentes étapes de la préparation de ce livre ?

PC : « Ce livre est le fruit de plusieurs rencontres. Celle d’abord, déterminante, avec François Petit, grand ramasseur de morilles, qui m’a permis de peaufiner mes descriptions d’espèces. C’est là que j’ai compris qu’il fallait croiser les observations écologiques, botaniques, chimiques et même archéologiques ! J’ai créé un réseau de cueilleurs sur la France pour obtenir un maximum d’informations sur la répartition des espèces. J’avais d’un côté ces passionnés qui me transmettaient leurs données, et de l’autre des amis chercheurs au CNRS de Montpellier, pour l’extraction de l’ADN et l’interprétation des séquences.

L’histoire s’est accélérée quelques années plus tard avec ma rencontre avec Pierre-Arthur Moreau, d’abord au Muséum de Paris puis à la faculté de pharmacie de Lille. Il a bien voulu travailler à la correction de la première classification mondiale des morilles que j’ai publiée en 2012. Notre association a bien fonctionné, elle s’est prolongée dans l’écriture commune de nombreux articles, qui ont nourri le livre que voici. Ce ne fut pas une mince affaire, car il a fallu ordonner, hiérarchiser et rendre digestes une somme considérable d’informations. Xavier Carteret a fourni un travail magnifique d’illustration, il est à la fois un artiste et un naturaliste de grand talent. »

Pierre-Arthur Moreau

Pierre-Arthur Moreau, comment décrivez-vous votre collaboration avec Philippe Clowez ?

PAM : « Oserais-je dire que nous sommes un peu les Laurel et Hardy de la morille ? (rires) Je crois que nous sommes très complémentaires. Il est l’homme qui connaît parfaitement les morilles, je suis celui qui les a apprises. D’ailleurs, je n’en ai presque jamais trouvé, je n’ai pas la bonne intuition. A partir de ses récoltes et de celles de son réseau, et avec un petit peu de microscopie, Philippe Clowez a voulu s’engager dans une classification. De mon côté, j’ai réussi à convaincre un collège de chercheurs montpelliérains d’analyser ce que je leur envoyais. Les analyses ADN ont confirmé l’existence de nombreuses espèces de morilles en France. Devant l’énormité de la tâche, beaucoup auraient pu se décourager, pas Philippe : il a fait face, il s’est accroché pour tout comprendre. »

Dans quel contexte scientifique s’inscrit ce livre ?

PAM : « Il fallait une taxonomie clarifiée pour les morilles. On ne peut faire de la bonne écologie que si on maîtrise parfaitement les noms des espèces. Or, l’extrême variabilité morphologique au sein d’une même espèce a rendu très difficile leur détermination. Notre collaboration avec nos amis chercheurs Franck Richard et Jean-Michel Bellanger a d’abord permis de stabiliser d’anciens noms de morilles. Quelques mois après, une équipe américaine a publié un article similaire sur les bases moléculaires. Du coup, nous nous sommes aussi rapprochés d’eux. Nous nous sommes aperçus qu’ils avaient nommé avant nous une espèce Morchella importuna qui n’est pas identique à la nôtre. Nous avons donc rebaptisée Morchella elata celle de chez nous

Le livre apporte de nombreux compléments puisqu’on décrit des espèces « nouvelles » comme Morchella fluvialis, de Turquie, et Morchella palazonii, trouvée en Espagne. Il y a aussi un Morillon espagnol, Morchella iberica. D’une manière générale, dans le sud de l’Europe, beaucoup d’espèces demandaient à être fouillées. »

La morille a-t-elle dévoilé tous ses mystères grâce à ce livre ?

PAM : « Certainement pas ! Par exemple, nous n’avons toujours pas de certitude sur les relations trophiques entre la morille et les arbres. La relation mycorhizienne par exemple reste à prouver. Inversement, on sait par exemple que Morchella elata peut être saprophyte, mais pas seulement, car elle peut rester très fidèle à certaines stations. Nos hypothèses sur ce sujet sont uniquement empiriques. Des expérimentations plus poussées devront les vérifier. Nous espérons que ce livre soit une rampe de lancement solide et fiable pour tous les travaux qu’il reste à mener sur ce genre passionnant. »

Morilles de France et d’Europe
Philippe Clowez et Pierre-Arthur Moreau.
Aquarelles de Xavier Carteret.
Préface de Régis Courtecuisse.
Cap Régions Editions – 372 pages.