Au pied des pentes peu après huit heures ce matin-là, j’ai laissé les chasseurs dans la gorge au fond faire claquer leurs fusils. Grisé par ce parfum de solitude qu’octobre distille le long des ravins, j’ai suivi le filon d’or des girolles jusqu’à près de mille huit cent mètres. Une altitude remarquable pour l’époque : ces champignons désertent habituellement ces forêts bien plus tôt. Vers dix heures trente, mon panier était déjà presque plein de ces brillants écus.

J’arrivai sur l’arête couverte de myrtilliers lorsqu’un mâle de tétras-lyre s’envola lourdement du haut d’un sapin. À la joie de la rencontre se mêle le poivre de la culpabilité : je déteste déranger cet oiseau fragile, harcelé de tous côtés. Contournant son territoire, je frôlais alors des silhouettes sombres, antiques troncs pétrifiés par l’effroi des hivers. Il en est ainsi de la montagne, qui brouille à chaque pas les sensations : on se rêve dans un bestiaire magique à ciel ouvert, et au virage d’après, c’est un champ de pierres froides qui rudoie l’imagination du promeneur.

Mes pas, justement, devaient bientôt rejoindre une de ces vieilles clairières que les lichens en breloque et la mousse étouffent. Beauté décrépite à couper le souffle. C’est là que je surpris un faucon pèlerin fonçant sur un groupe de passereaux qui passait d’arbre en arbre. D’un coup d’ailes, le rapace changea sa trajectoire pour disparaître derrière une petite barre rocheuse. J’ai craint d’être alors de trop dans ce tableau et me suis faufilé sous les sorbiers pour entamer la redescente. Entre l’inattendu et l’indomptable, il faut savoir s’en tenir là.

Je laissai derrière moi quelques familles de pieds-de-mouton pour d’autres cueilleurs. A la jointure de deux sentiers, le tabouret luisant d’un cèpe trônait sur la moquette verte des sphaignes. Celui-là, je n’allais pas m’asseoir dessus. 1540 à l’altimètre : encore un record pour cette date.

Midi sonna à la cloche du village d’en bas. Le monde des humains me ramenait à lui, alors qu’une frêle averse, trop fine pour la saison, humectait le feuillage doré.

Belledonne, 7 octobre 2017