Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Marc-André Selosse enseigne dans des Universités françaises et internationales. Ses travaux portent notamment sur les relations de symbiose entre les champignons et les végétaux, ainsi que sur l’évolution et l’écologie. Il est également l’auteur d’ouvrages tels que Jamais Seul (Actes Sud, 2017), qui éclaire sur l’importance majeure des microbes dans l’équilibre de la vie, et Les Goûts et les couleurs du monde (Actes Sud, 2019), une exploration sensorielle des tannins, famille de molécules trop souvent écartée des champs d’études alors qu’elle représente sans doute plus d’un tiers de la biomasse terrestre. Marc-André Selosse nous a accordé une discussion dans l’air du (prin)temps, où l’on évoque les Orchidées et les Truffes…

La Barlie de Robert est associée aux champignons du genre Tulasnella (photo GEASTER)

Les Orchidées fleurissent actuellement dans les sous-bois et les prairies non amendées. Vos études ont mis en avant les relations étroites qu’elles entretiennent avec les champignons…

Nous ne connaissons pas, à ce jour, d’espèce d’orchidée qui ne soit pas associée à un champignon. Même les orchidées épiphytes, celles qui poussent sur les arbres, ont un lien avec les champignons. Mes trois équipes de recherche, à Paris et à Gdansk où j’enseigne, ainsi qu’à Kunming, en Chine, ont en particulier travaillé sur ces relations.

Par exemple, les Barlies de Robert (Himantoglossum robertianum), qui sont parmi les premières orchidées à fleurir au printemps, entretiennent une relation étroite avec des champignons basidiomycètes du genre Tulasnella, un genre vivant de matière morte mais aussi capable de coloniser sans dégât les racines d’autres plantes. Les Epipactis, qui croissent surtout au début de l’été, sont quant à elles souvent associées à des truffes, notamment la Truffe de Bourgogne (Tuber uncinatum). Mais également à des champignons du genre Sebacina, un basidiomycète qui « encroûte » les herbes et les débris végétaux quand il forme ses spores. Quant aux Limodores, ils sont en lien avec les Russules du groupe delica. Enfin, presque tous les groupes et sous-groupes du genre Inocybe sont associés à une orchidée sans chlorophylle, Epipogium aphyllum.

La plupart des Inocybes (ici Inocybe queletii, printanier sous Sapins) sont associés à une orchidée sans chlorophylle (photo GEASTER)

Comment s’opèrent les échanges entre champignons et orchidées ?

Certaines espèces d’Orchidées se nourrissent directement du carbone des champignons. Dans les forêts tropicales, les champignons saprophytes sont particulièrement actifs : des Mycènes, des Gymnopus ou encore des Psathyrelles fournissent aux Orchidées non seulement les sels minéraux nécessaires à leur croissance mais aussi leurs matières carbonées !

Dans les cas des Orchidées de chez nous qui n’ont pas de chlorophylle, comme la Néottie nid-d’oiseau (Neottia nidus-avis), les champignons habituellement associés aux Orchidées sont remplacés par d’autres espèces reliées aux arbres voisins, jouant alors le rôle de passe-plat. Ces interactions avec le champignon modifient la quantité de carbone C13 dans la plante, supérieure à celle des plantes photosynthétiques voisines.

Dépourvue de chlorophylle, la Néottie Nid-d’Oiseau fait appel au réseau mycélien
pour se fournir en matières carbonées (photo GEASTER)

Jusqu’où avez-vous élargi votre champ de recherche concernant les Orchidées et le règne fongique ?  Qu’est-ce qui reste encore à découvrir ?

Nous avons étudié les relations entre les champignons et les bruyères, ainsi qu’avec les arbres. Et, d’une manière plus générale, le rôle fonctionnel des réseaux mycorhiziens, qui profitent aux deux partenaires. Avec les Orchidées, des questions restent encore en suspens. On ne sait pas si les Orchidées apportent quelque chose aux champignons. Ces champignons sont-ils soumis à une forme de parasitisme ? Trouvent-ils au contraire une compensation, ou un intérêt lorsqu’ils perdent leur carbone ?

Nous nous sommes par ailleurs intéressés à la génétique des populations des champignons. Précisément à la façon dont se dispersent leurs gènes, la taille des individus dans le sol… Il est possible de typer génétiquement les individus. La récolte des mycorhizes permet de dire à quel mycélium, et donc à quel individu-champignon, l’échantillon en question appartient…

Marc-André Selosse, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle : « La Truffe est née d’un père inconnu. » (photo DR)

Bientôt les premières truffes d’été… On le sait peu, vous vous intéressez aussi beaucoup aux truffes !

Oui. La truffe recèle bien des mystères. En 2010, nous avons lancé le grand programme national SYSTRUF, avec l’Université, le CNRS et l’Inra de Montpellier. L’enjeu était de savoir comment naissent les truffes, de manière à expliquer notamment le déclin de leur production. Car en France, nous sommes passés d’une production annuelle d’un millier de tonnes au XIXe siècle à une petite centaine aujourd’hui, les meilleures années ! L’irrigation estivale, qui permet de sauver des truffes durant la sécheresse estivale, et l’inoculation des systèmes racinaires des chênes constituent des avancées importantes. Pourtant, elles n’ont pas redressé la production. À partir de 2016, grâce à l’analyse génétique d’un millier de truffes récoltées en France, nous avons pu mettre en évidence que ce champignon avait un « père » et une « mère » ! Une différence a en effet établie entre l’ADN du champignon et celui de la gléba, la partie sombre de la truffe, qui recèle les spores. C’est une révolution car dans les années 1990, on pensait encore que l’ascocarpe, la truffe que l’on cave, était produit par un seul individu, à la manière des plantes qui portent des fruits issus de l’autofécondation. La « mère » de la truffe a été identifiée comme étant celle qui nourrit la gléba. Mais le « père » est introuvable : on n’a connaissance que de ses gènes, contenus dans les spores. L’hypothèse, en cours de test, est que les spores survivant dans le sol peuvent toujours féconder les individus déjà installés, les mères. Les spores qu’on introduit dans le sol deviendraient les « pères » l’année suivante. À suivre !

Propos recueillis par R. Gonzalez

Le sol selon Selosse

Marc-André Selosse apporte sa contribution scientifique à la BD de Mathieu Burniat, Sous terre (Dargaud), paru en mars 2021. L’histoire de Suzanne, une ado réduite à une taille minuscule, qui entraîne le lecteur à l’exploration du sol : acariens, champignons, bactéries et autres organismes qui remplissent des fonctions vitales pour la planète. « Le sol, c’est tout notre monde. Il contribue à réguler le climat si nous savons l’utiliser. Si nous le maltraitons, entre irrigation et labour excessifs, il produit trop de gaz à effet de serre et dérègle alors notre climat. » En septembre prochain, Marc-André Selosse publiera justement un livre sur le sol, L’Origine du Monde, aux éditions Actes Sud. « Une histoire naturelle du sol à l’usage de ceux qui le piétinent ! »

Sous Terre, BD pleine de rythme et de suspense, par Mathieu Burniat et Marc-André Selosse, vient de sortir.

Autre article Champignon magazine sur les relations entre les plantes et le règne fongique : Arbres et Champignons, un mariage de raison.