L’Entolome livide

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On l’appelle parfois « Faux-Meunier », et pour cause : comme le comestible Clitopilus prunulus (de la même famille des Entolomataceae), il endosse un costume blanchâtre et sa chair exhale une odeur prononcée de farine. Son aspect charnu presque bonhomme cache pourtant un redoutable toxique, d’où son autre surnom de « Perfide ».

Une carrure de sportif dans un habit virginal soyeux, traînant derrière lui un parfum enjôleur. Du genre karatéka, et parfois même catcheur. Ses mensurations et ses qualités esthétiques séduisent mais c’est pour mieux tromper l’imprudent mycophage : l’Entolome livide est l’un des grands truands de nos sous-bois, l’un de ceux dont il faut absolument connaître les moindres manigances.

L’Entolome livide rôde assez souvent à la fin de l’été et jusqu’au milieu de l’automne dans les sous-bois de feuillus, notamment de Chênes et de Hêtres, sur les sols à teneur marquée en calcaire. Certaines années, il survient en troupes massives, comme pour mieux haranguer le promeneur qui pourrait se laisser convaincre par une telle prodigalité. La densité de sa blanche chair est tentante, tout comme la jolie teinte de ses lames échancrées et assez espacées, passant d’un jaune de beurre dans la jeunesse à un rose saumon au temps de la sporulation.


L’Entolome livide est un hôte des bois aérés de Chênes et de Hêtres sur sol argilo-calcaire (Photo : GEASTER)

Sinistre réputation

Son chapeau arbore de fines fibrilles grises, parfois si denses qu’elles dessinent des ombres vernissées, au moins par plages. Changeant considérablement de forme au fil de la croissance du champignon, ce chapeau conserve toujours un aspect bossu. Généralement blanchâtre, ou disons beige, la cuticule se craquèle souvent en archipels grossiers par temps sec. Avec l’âge, l’entièreté du champignon peut jaunir. D’où l’un de ses noms vernaculaires de Jaunet. La littérature ancienne rapporte également qu’on le surnommait jadis Videau : un nom à rapprocher du latin viduo, qui signifie « rendre veuve » ou « dépeupler une ville »… Les Américains ne s’y sont pas trompé non plus en l’appelant Lead Poisoner (Maître Empoisonneur). Vade retro, Satanas !

Dangereux pour le foie

L’Entolome livide est l’un des principaux responsables du syndrome résinoïdien. Cette intoxication, qui est aussi provoquée par le Clitocybe de l’Olivier (Omphalotus olearius), le Tricholome tigré (Tricholoma pardinum) et d’autres espèces d’Entolomes, se manifeste par des symptômes gastro-intestinaux sévères tels que vomissements violents et diarrhée aiguë. Le tableau clinique initial ressemble à celui de l’Amanite phalloïde. Ces symptômes surviennent à partir de 30 minutes après l’ingestion mais peuvent être retardés de six à huit heures. Ils sont parfois accompagnés de vertiges et de désordres nerveux. Une atteinte du foie (liver en anglais, ça ne vous rappelle rien ?) n’est pas à exclure. On surveillera donc, outre les risques de déshydratation importante, l’état des enzymes hépatiques, qu’il peut dégrader. On a décelé parmi les toxines du champignon des substances particulièrement irritantes pour le tube digestif, notamment des dérivés terpéniques; d’autres restent encore inconnues. Si la guérison survient généralement au bout de 5 à 6 jours, il faut savoir que l’Entolome livide a déjà causé la mort de personnes affaiblies ou âgées.

L’Entolome livide peut revêtir différents aspects et c’est lorsqu’il est petit et pâle qu’on peut le confondre avec le Meunier (photo : GEASTER)

C’est le plus souvent avec le Clitocybe nébuleux (Clitocybe nebularis) qu’on confond l’Entolome livide. Les différences entre les deux champignons sont pourtant nombreuses. Le premier possède des lames serrées et plus ou moins décurrentes, une sporée crème, un chapeau hygrophane et d’aspect un peu gras au toucher, une odeur écoeurante difficile à définir. L’Entolome livide, quant à lui, dispose d’un hyménophore pourvu de lames échancrées qui s’arrêtent à leur jonction sur le pied, une sporée rose, un chapeau qui reste sec, une odeur prononcée de farine… D’ailleurs, l’indigeste Clitocybe nébuleux, ce Griset de l’Est de la France, ne devrait plus figurer dans les menus tant il est mal toléré.

L’Entolome livide fait partie des rares espèces du genre Entoloma à développer des relations symbiotiques avec les arbres, tout comme son cousin, l’émacié Entoloma rhodopollium. Les autres Entoloma sont saprophytes.

La ressemblance superficielle de l’Entolome livide avec le Clitocybe nébuleux peut aussi être problématique (photo : GEASTER)

Carte d’identité

Entoloma sinuatum (Bull. : Fr.) P. Kumm. 1871

Division : Basidiomycota

Classe : Agaricomycètes

Ordre : Agaricales

Famille : Entolomataceae

Chapeau : 6 à 15 cm de diamètre, parfois jusqu’à 20 cm, d’abord globuleux, presque plan à la fin, voire déprimé. La cuticule est lisse et volontiers brillante dans la jeunesse, avant de devenir pruineuse et de se craqueler, de couleur variable : gris cendré, gris-jaune, ocre, gardant des plages blanchâtres.Lames : évoluant du jaune de beurre au rose saumon en passant par toutes les nuances intermédiaires. Elles sont échancrées et assez espacées; leur arête est d’abord droite puis devient irrégulière et dentelée.

Pied : 6 à 15 cm, blanchâtre puis jaunâtre, robuste et charnu, presque obèse dans la prime jeunesse puis bulbeux pour devenir cylindrique à la fin. Le pied se courbe avec la maturité, d’où le nom de sinuatum (sinueux).

Chair : compacte, assez ferme et blanche. L’odeur de farine fraîche prend le nez, elle rancit avec l’âge.

Écologie : d’août à novembre, sur sol calcique, en présence de Chênes ou de Hêtres. Surtout commun à l’étage collinéen.

Spores : (8,5)9-11 x 8-9 micromètres, de forme polygonale, sporée rose foncé.

Compléments :

Une récente étude sur l’action moléculaire de l’Entolome livide

La Vengeance de l’Entolome livide (Didier Dufresne et Stéphane Couillerot, Bastberg Ed.)

Les lames de l’Entolome livide passent du jaune de beurre au rose saumon avec l’âge (photo : GEASTER)