Fungus Sapiens : à la cueillette du sens

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Créée en 2016 près de Toulouse, l’entreprise Fungus Sapiens s’attache à valoriser les multiples propriétés physico-chimiques des champignons avec l’ambition de contribuer à un monde meilleur.

Ce n’est pas un hasard si Fungus Sapiens est implantée tout près Organic’Vallée, en Occitanie. Ce vaste cluster d’activités agricoles s’est donné comme mission de bâtir une économie circulaire de proximité sociale et solidaire. L’entreprise Fungus Sapiens, imaginée par Mariana Dominguez Peñalva s’inscrit parfaitement dans cet objectif. Elle utilise les déchets organiques issus de l’agriculture locale avec deux objectifs : produire des champignons destinés à l’alimentation humaine d’une part, et recycler le mycélium dans la fabrication de biomatériaux d’autre part.

Changer de modèle

Engagée dans l’association Sphirae dédiée à la promotion de projets alternatifs, Mariana a eu l’idée de Fungus Sapiens en assistant en 2015 à une vidéo-conférence du célèbre mycologue américain Paul Stamets sur la capacité des champignons à restaurer les sols écologiquement dégradés. Un constat alarmant lui a inspiré ce projet : « Avec 7,5 milliards d’êtres humains, nous avons déjà dépassé de 20 % la capacité de la planète à subvenir naturellement à nos besoins. En 2050, nous frôlerons les 10 milliards. Le modèle actuel d’économie linéaire ne permet pas de gérer les ressources de manière efficace et durable. »

Des tonnes de déchets transformés

C’est sur la lignine et la cellulose, composés du bois qui « nourrissent » nombre d’espèces de champignons, que repose le développement de Fungus Sapiens. « La lignine est une ressource inépuisable, puisqu’on peut la trouver dans la plupart des déchets agricoles et forestiers. Sur ces déchets, il est possible de faire pousser de la nourriture à haute valeur nutritionnelle et de fabriquer des biomatériaux en grande quantité. » L’entreprise met à profit chaque année quelques tonnes de ces déchets, transformés par la magie mycélienne. « Nous avons à notre disposition plus de 8 000 m3 de sous-produits des activités agricoles, élagages et sciures des scieries de la Montagne Noire, ainsi que deux tonnes de marc de café par semaine. L’usine Cler Verts voisine produit aussi 3000 tonnes de compost », énumère Mariana.

Dans son labo, Mariana fait pousser des pleurotes roses.

Pleurotes et shiitakes

De ce substrat fertile, Fungus Sapiens fait pousser des pleurotes gris et roses, écoulés auprès des magasins spécialisés bio locaux (Biocoop, La Vie Claire…) et quelques restaurants gastronomiques, parfois même étoilés. L’entreprise va démarrer cette année la culture du shiitake : « C’est une espèce plus contraignante, mais les conditions sont prêtes ». Pour autant, la production de champignons alimentaires ne dépasse pas 20 % de l’activité de l’entreprise.

En phase de caractérisation

L’essentiel de Fungus Sapiens est ailleurs. Récemment réorganisée dans des locaux plus grands, l’entreprise concentre la majeure partie de son énergie à la recherche. Dans deux principaux domaines : les bio-matériaux 100 % biodégradables et la myco-remédiation, soit la restauration des écosystèmes dégradés par les matériaux lourds, produits chimiques et autres hydrocarbures. « Un client nous a également demandé un protocole d’élimination des pollutions par les mégots de cigarettes », confie Mariana Dominguez Peñalva, qui s’apprête à nouer un partenariat avec l’institut Polytechnique du Mexique pour accélérer le développement des procédés. « Nos prototypes sont aboutis, nous sommes maintenant en phase de caractérisation. »   

L’alternative au cuir

2021 constitue une année-charnière pour Fungus Sapiens, qui compte organiser une levée de fonds d’ici juin prochain. À la recherche de business angels et autres capitaux-risqueurs, la startup compte changer d’échelle tout en mettant en avant l’un de ses produits-phares, destiné à remplacer le cuir. Il n’est plus un secret pour personne que la production de cuir, non seulement très polluante, est aussi extrêmement gourmande en eau. « Le marché est prêt. Même les acteurs du luxe sont aujourd’hui intéressés aux matériaux issus du mycélium. Des grandes marques nous ont contactés pour tester nos matériaux. La valeur ajoutée générée sur ce segment nous permettra alors de financer des produits moins attractifs pour les investisseurs mais essentiels pour la société, comme les alternatives aux matières plastiques. »

Essaimer sur le territoire

Car Mariana Dominguez Peñalva n’en démordra pas. Les futurs bénéfices de son entreprise seront réinvestis dans la diffusion de procédés visant à réduire notre empreinte écologique. Y compris la sienne : « Les rémanents de notre production, issus du mycélium, contribuent aussi à l’enrichissement des terres agricoles et à l’alimentation du bétail près d’ici. » À la fois ferme champignonnière de proximité et laboratoire de recherche biomimétique, Fungus Sapiens ambitionne ainsi de se développer en tant que marque pour l’essaimage de fermes similaires sur le territoire national.