Un petit tour en Slovénie

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Hêtraie en Slovénie.

Petit État alpin plein de charme, la Slovénie figure parmi les pays les plus boisés d’Europe : autant dire que les champignons s’y complaisent. Si l’été continental n’offre pas forcément les meilleures conditions pour admirer sa richesse fongique, la forêt slovène au mois d’août recèle un certain nombre d’espèces sur ses versants abrités.

Près de 60 % du territoire de la Slovénie est occupé par les forêts. Une couverture forestière particulièrement étendue entre 600 et 1500 mètres d’altitude confère au pays des panoramas apaisants pour le visiteur, et pleins de promesses pour le mycologue. Plus d’1,3 million d’hectares de boisements variés, surtout privés, offrent à l’industrie du bois une dynamique qui n’altère pas les paysages : la Slovénie a depuis longtemps privilégié une gestion durable de ses forêts. Nous n’avons pour ainsi dire pas vu de coupes rases, sauf vers la frontière autrichienne. La majorité des forêts sont dominées par le Hêtre, suivies par deux conifères, l’Épicéa et le Sapin. Les Chênes occupent les altitudes les plus basses. Le sol est principalement calcaire, avec des bandes de flysch intermédiaires au nord (Alpes kamniques), et un calcaire dolomitique au sud, dans les étages jurassiques et triasiques notamment. La présence de dolines en contexte forestier offre des micro-habitats frais, intéressants en période estivale.

Psathyrella gr. fusca dans la Hêtraie caillouteuse.

Une première étape dans la région méridionale de Cerknika, vers 1000 mètres d’altitude, se révèle un peu décevante. Sans doute à cause de la sécheresse d’août, les champignons, peu fréquents, se replient sur les versants nord. L’un des trois Amanites du périple s’y trouve, une Amanita strobiliformis en mauvais état, au bord du chemin menant au refuge. L’espèce la plus régulièrement rencontrée est un Bolet proche du Bolet blafard, Suillellus mendax, reconnaissable à son pied surtout ponctué de rouge, découvrant en haut un réseau lâche mal formé. Régulier, oui, mais toujours solitaire. Souvent, d’énormes Polypores marginés (Fomitopsis pinicola) lui tirent la langue.

Bolet menteur (Suillellus mendax).

La densité de Hêtres favorise des espèces typiques : une petite touffe de Mycena renati sur un tronc coupé ici, quelques piquantes Russula fageticola là, dans la litière des feuilles.

Mycène à pied jaune (Mycena renati).

Un peu plus loin, dans une lisière caillouteuse, des Psathyrella du groupe fusca (peut-être P. pseudogordonii) sèchent doucement au soleil. D’assez grande taille, elles ont gardé sur leurs chapeaux des bribes de leurs premières langes. Au fond d’une doline, où se sont accumulées quantités de feuilles et de branchages, des Marasmes petite-roue Marasmius rotula feignent une armada de soucoupes volantes. Sous un bouquet d’Épicéas, une jolie troupe de fraîches Russula integra m’interpelle : où est passée cette espèce, autrefois abondante dans les pessières iséroises du milieu de l’été ? De retour près du refuge, de candides Psathyrella candolleana précèdent de peu la blancheur égale d’une mousse locale rafraîchissante.

La Russule intègre (Russula integra), au goût de noisette, fréquente les forêts d’épicéas.


Cap au nord

Une deuxième balade mycologique s’est déroulée dans les forêts surplombant le petit lac de Preddvor, au pied des Alpes kamniques quelques jours plus tard. Un relief plus encaissé, une géologie moins poreuse et, de fait, des sources nombreuses maintiennent un degré d’humidité suffisant pour la fructification des mycéliums. À seulement 800 mètres, le Hêtre cède déjà un peu de son règne à l’Épicéa et au Sapin, mais aussi à l’Érable champêtre et même à quelques Aulnes au bord des ruisseaux. Le Meunier (Clitopilus prunulus) est le champignon le plus abondant du secteur.

Clitopilus prunulus, le célèbre Meunier à la puissante odeur de farine fraîche.

Plusieurs petits groupes de Russula fellea, au parfum suave de compote de pommes, jonchent aussi le parcours. Elles concurrencent deux autres Russules : Russula cyanoxantha, la fameuse Charbonnière, et Russula vesca dans les parties les plus sèches. Différentes espèces de Lactaires étoilent le sol, pas toujours identifiables en raison de leur vétusté. Au moins un sera nommé : de la section des Dapetes (à lait orange), et sous un épais Sapin, un Lactarius salmonicolor offre un piètre visage, déformé par un autre champignon, Hypomyces lateritius. Le Lactaire tranquille (Lactarius quietus) répond aussi présent, à la grâce d’un unique chêne, son essence préférée pour les noces mycorhiziques.

Le Lactaire tranquille (Lactarius quietus), lié aux Chênes, rougissant dans ses blessures.

La souche d’un épicéa érige une scène pour une vaillante jeune troupe d’anisés Gloeophyllum odoratum. Non loin d’un petit torrent, une Pholiote (Pholiota sp.) surgit d’une vieille branche perforée d’un Hêtre couché au sol. Petite note de musique dorée, soufflée d’un ocarina funèbre.

Pholiota sp.

Un peu plus à l’ouest

En direction de Bled, quelques jours plus tard, un séjour dans un chalet de la charmante campagne de Radovljika a inspiré une promenade vespérale sous des feuillus variés. Une Coulemelle (Macrolepiota procera) se dresse au départ du chemin. Fausse piste : très peu de champignons vont s’offrir sous le couvert. Il faut longer la lisière, pas trop sèche au nord et même un peu moussue, pour faire quelques observations sympathiques : plusieurs espèces de Russules, dont Russula nauseosa et R. risigallina, quelques Lépistes (Paralepista flaccida probable) à différents stades de développement, une jeune Amanite livide (Amanita lividopallescens), une demi-cercle de Clitocybes en entonnoir (Infundibulicybe gibba), ainsi qu’un petit Lactaire blanchâtre, lames espacées et pied très court, à la chair brûlante.

Russula nauseosa.

Une Amanite étranglée (Amanita ceciliae) est en train d’éclore, non loin d’un duo de Bolets Leccinum pseudoscabrum : deux espèces qui signent la présence de Charmes.

Le Bolet des Charmes, reconnaissable à son chapeau crispé, autrefois Leccinum carpini, désormais Leccinellum pseudoscabrum.

Juste avant la nuit, une Russule verdoyante (Russula virescens), que la chaleur a découpée en étoile, précède de peu celle du Berger au ciel.

Une Russule verdoyante (Russula virescens), au curieux dessin en étoile.

Reprise d’altitude

J’ai retrouvé la Hêtraie princière, vers la fin du séjour, frôlant le très fréquenté massif du Triglav, dans la région de Lokve. Cherchant systématiquement l’orientation nord, j’ai fini par débusquer quelques espèces de Russules encore, dont Russula heterophylla, l’omniprésente R. cyanoxantha, mais aussi Russula anthracina (lames serrées et âcres) et Russula delica.

Russula delica, la Russule « sans lait », couramment consommée en Slovénie.

D’après un guide des champignons trouvé dans une librairie à Radovljika, cette dernière figure au menu des Slovènes, au moins dans la campagne reculée : une cuisson prolongée gommerait en partie l’âcreté de sa chair. Tentante, son abondance fait oublier qu’elle est « la moins bonne des meilleures russules« , toujours selon ce livre. De beaux exemplaires de la Psalliote des bois (Agaricus sylvicola) embaumant l’anis émergent aussi de la couverture des feuilles.

Agaricus sylvicola, au délicat parfum d’anis.

Des Clitocybes à la marge ornée, peut-être Infundibulicybe costata, escortent une maigre poignée de Cantharellus pallens à mi-pente, dans la terre nue. Trois-quatre Girolles à moitié déshydratées ne feront certes pas mon dîner. Leur maigre soleil est largement supplanté par l’éclat vif des Tramètes cinabre (Pycnoporus cinnabarinus) sur un Hêtre échoué de vieillesse. Mais c’est la couleur olivâtre qui bouclera cette ultime prospection, avec des Inocybes rappelant les fastigiés si leur pied n’était chaussé d’un sabot anguleux : Inocybe praetervisa, au bout d’un chemin menant vers le soir et de paisibles chevreuils, tout près de fermiers encore à leur rude tâche.

Inocybe praetervisa.

Diaporama des autres espèces citées dans le texte et quelques paysages :